“La critique ? Elle fait partie du métier…“

“La critique fait partie du métier…“, c’est la phrase que j’ai le plus entendu durant ma carrière de joueur, et ce serait mentir de dire qu’on y est totalement indifférent, imperméable.

Juillet 1997, j’ai 19 ans lorsque je débarque au Paris Saint-Germain. J’arrive de Pau (National), pantalon en velours, vans aux pieds, imposante valise… et me voici dans l’un des clubs les plus exposés médiatiquement. Il ne m’a fallu que quelques jours pour comprendre que pendant les 15 années qui allaient suivre, je devrais m’habituer à être jugé, critiqué sur mon contrôle approximatif, ma passe ratée, mon attitude nonchalante, mon match “en demi-teinte“, etc etc… Pour mes tenues vestimentaires, ça, ce sera du ressort de mes coéquipiers.

Je devenais un footballeur professionnel et j’allais donc être soumis à la critique des journalistes mais aussi des supporters et tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin au football. Encore plus après 1998, que la France était devenue Championne du monde.

Au début, c’est un peu violent car malgré le recul que j’ai très tôt pris vis à vis du jugement d’autrui (heureusement !), la critique m’a blessé (souvent!), fait douter (parfois!), même si elle m’a rendu plus exigeant envers moi-même, pour enfin ne plus y faire attention.

Elle est formulée par un journaliste qui doit relater, raconter ton match à tous ceux qui n’étaient pas au stade, ou devant leur télé. Et c’est ce résumé qui sera souvent pris comme vérité.

Les footballeurs acceptent la critique. Ils y ont été confrontés depuis leur petite enfance, dans les centres de formation notamment. On l’accepte d’autant mieux quand elle fondée, argumentée (celle-ci permet de se remettre en question, progresser), moins quand elle est acerbe ou dénigrante.

Je me souviens d’une anecdote qui m’avait marqué, une critique adressée à mon coéquipier de l’époque, au PSG, Sylvain Distin (décembre 2000). La veille nous nous étions faits étriller à Sedan 5-1, et le lendemain est écrit dans un grand quotidien, donc lu par des centaines de milliers de personnes : “Est il vraiment fait pour le foot ?“. Pourquoi écrire cela ?

Il y a avait tellement d’autres façons de dire qu’il avait connu une “soirée à vite oublier“ (tout comme le reste de l’équipe). Et, que venant de Gueugnon qui était alors en D2, il lui faudrait soigner sa relance, être plus concentré car son physique ne pouvait plus être sa seule et unique arme pour rattraper ses erreurs de placements.

Mais rassurez-vous, Sylvain Distin est bien fait pour le foot, ses quelques 12 ans et presque 500 matches en Premier League (Newcastle, Manchester City, Porstmouth, Everton) en attestent.

A mes débuts, soucieux de savoir comment mon match allait être colporté, je me penchais avec une grande attention sur la presse spécialisée du ballon rond, après chacun de mes matches joués. Je me souviens de la critique d’un match (lors de ma 1ère saison au PSG, 1997-98) dont j’étais sorti satisfait. Le coach de l’époque, Ricardo, peu démonstratif m’avait d’ailleurs félicité en me tapant dans la main et me lançant un clin d’œil. Le sentiment du devoir accompli, comme on dit dans le milieu, m’habitait !

“J’avais tenu au silence le meneur de jeu adverse, diminuant son influence sur son équipe, me mettant dans les angles de passes, empêchant ses partenaires de lui donner le ballon dans les meilleurs conditions…“ j’avais même ‘régalé‘ une transversale pied gauche moi le droitier bref… j’avais bien fait le job, (mon humilité m’empêchant de dire plus !). Et je lis : “A commis beaucoup de fautes, timide dans ses intentions offensives, discret défensivement, quelques approximations techniques“. Note, 5. Soit l’une des moins bonnes de mon équipe.

Je crois qu’un “Comment peut-il me juger alors qu’il ne sait même pas ce que c’est que de jouer à ce niveau ?“, avait effleuré mon esprit. C’est frustrant, énervant. Cela  avait gâché mon plaisir “d’être un privilégié“.

Pour comprendre comment un footballeur peut recevoir une critique lâchée froidement sans arguments rationnels à ses yeux, j’aime raconter cette anecdote à mes amis journalistes. Vikash Dhorasoo, du haut de ses 32 ans à l’époque, en a eu marre d’être “taillé“ durant sa saison au PSG (2005-2006) et s’est laissé une fois aller à une petite pique au sortir des vestiaires : “Vous n’écrivez pas assez bien pour couvrir la politique, et vous n’étiez pas assez bon pour être joueur professionnel. Voila pourquoi vous êtes journaliste sportif“.  Brutal, non ?

Une remarque déplacée, une critique trop acerbe ou récurrente peut te faire passer pour un “guignol“ devant la France entière. Est-ce le but ? Je suis le 1er à dire qu’un footballeur doit faire preuve d’autodérision, se moquer de lui-même. Mais je comprends que parfois, le joueur puisse “péter un plomb“, craquer.

Etre constamment jugé est usant psychologiquement. Le footballeur s’en est accommodé et sait que “cela fait partie du métier“. Mais pour essayer de comprendre : visualisez à la fin de votre journée de travail, écoutant la radio et entendant des chroniqueurs parler des erreurs que vous avez commises pendant votre journée de boulot, et les auditeurs surenchérir…. Vous couperez, n’est-ce pas ?

Attendez de rentrer chez vous, allumez la télévision et rebelote, avec des images à l’appui cette fois,  sans oublier vos enfants qui rentreront de l’école et vous raconteront comment ils ont été raillés  par les autres camarades.

Bien entendu, footballeur est incontestablement un métier de privilégié, un métier public logiquement exposé et aussi très bien payé. Je sais aussi qu’il est bon (parfois!) de taper sur le footballeur mais il n’en reste pas moins un homme. Pour moi, la critique doit  être assenée avec diplomatie et bienveillance pour faire avancer, améliorer les performances et non inhiber, le spectacle proposé n’en sera que meilleur, plus spectaculaire, moins stéréotypé et on aura alors plus de chance de se divertir devant un match de foot… français.

Pour donner plus de légitimité aux critiques footballistiques, les médias télé/radio/presse écrite ont fait de plus en plus appel à des consultants “anciens joueurs“, “anciens entraineurs“. Le consultant, selon moi, doit essayer d’apporter une analyse qui permette aux téléspectateurs, lecteurs de mieux appréhender le match. Donner des détails techniques, tactiques  (expliquant les raisons du déroulement du match ou des choix -bons ou mauvais- des joueurs). Y apporter “son“ analyse sans croire qu’aucune autre ne pourrait être plus pertinente et aussi (et surtout)  faire partager ce que le joueur peut ressentir (détails psychologiques).

Les analyses de Christophe Dugarry, champion du monde et consultant phare, sont très écoutées. Je ne les ai pas toutes partagées et je l’ai parfois trouvé “trop“ dur notamment avec mon coéquipier et meneur de jeu de l’OM en 2010 Lucho, le jugeant trop lent, pas assez costaud dans les duels, pas assez dribbleur, bref toutes les caractéristiques que Lucho n’a jamais eues.

Etre joueur “offensif“ à l’OM est quelque chose qui n’est pas évident du tout. Duga a vécu cela. La résonance des commentaires négatifs à son sujet a fait que l’on voyait plus ses “défauts“ que ses “qualités“. Mais là aussi rassurez-vous, Lucho est retourné à Porto, a repris son brassard, son surnom d’El “Commandante“ et a été sacré champion pour la 2è fois, depuis son retour l’an dernier.

Crédit Photo. Edouard Cissé / AnotherCom

Edouard Cissé est né le 30 mars 1978 à Pau. Il évolue 15 saisons comme footballeur professionnel. Il fut successivement le milieu de terrain du Paris Saint-Germain, du Stade Rennais, West Ham, Monaco, Besiktas Istambul, de l’Olympique de Marseille et Auxerre.

Finaliste de la Ligue des Champions, champion de France et de Turquie, vainqueur de 5 Coupes nationales, 3 Trophées des Champions, Edouard Cissé s’attaque certainement au plus gros défi de sa carrière, écrire, et sans faire de fautes si possible, des chroniques pour AnotherCom.

What Others Are Saying

  1. olivier mai 23, 2013 at 12:19

    bonjour Edouard, ça me fait penser a yoann gourcuff je pense qu il a mal géré tout ça et ça a joué sur ses perf dufficile de faire abstraction dans ces cas la

  2. Babette mai 23, 2013 at 3:54

    Bonjour Edouard, tu sais faire passer subtilement des messages, sans aigreur ni esprit revanchard. Très bien rédigé, belle plume :peut-être envisages-tu une reconversion dans le journalisme??? 😉 Ca t’irait bien

  3. Jean-Pierre mai 23, 2013 at 4:05

    Félicitations pour cette chronique ! Ce qui est malheureux, c’est que la plupart des journalistes sportifs ne connaissent pas bien la technique du football, entraînant inévitablement des critiques infondées. Par contre, il existe de vrais journalistes et de vrais consultants de talent, dont la critique s’avère nécessaire et constructive dans l’intérêt des footballeurs et du football en général.

  4. plenel mai 27, 2013 at 7:37

    jean michel larqué^